Le rapport secret de Bailly
Les braises de l’affaire Gérard Miller retombent enfin, le temps pour nous de faire un point sur les liaisons dangereuses entre l’hypnose et la question de la sexualité. Elles sont historiques, et remontent aux fonts baptismaux de l’hypnose, fin du 18e siècle. Il est connu que le Roi ordonne aux savants de l’époque un rapport sur le magnétisme animal (1784, le « rapport Bailly »). Pour dire les choses très rapidement, ce rapport invalide l’hypothèse du fluide de Mesmer, mais atteste des effets thérapeutiques de la méthode, en installant les pierres de ce que l’on peut appeler « une médecine de l’imaginaire » (influence de l’attente, des émotions, etc.) qui deviendra quelques années plus tard : l’hypnose.
Le rapport secret de Bailly
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Mais ce que l’on sait moins, c'est qu’il y eu un autre rapport, dit « rapport secret », relevant plus d’une enquête sociologique. Bailly en est aussi le principal auteur. Dans ce rapport, il conclut que le magnétisme animal était dangereux pour la société et pour les moeurs.
Dangereux pour la société cela va sans dire, puisqu’il s’agissait d’une forme de médecine démocratique et universelle avant l’heure (tout le monde pouvait y avoir accès, de la cour royale jusque dans les campagnes. Par ailleurs, (presque) chaque citoyen pouvait se former pour devenir magnétiseur, s’il suivait quelques règles.
Pourquoi dangereux pour les mœurs? Et bien parce qu’il y avait des récits d’attouchements voire d’abus sexuels caractérisés, alors que les patientes (souvent des femmes) étaient en « crise magnétique » (état de conscience modifié provoqué par "les passes magnétiques" et autres formes d’induction).
Pour l’anecdote, Bailly décrit dans ce rapport les crises magnétiques avec une plume très inspirée qui n’a rien à envier aux romans érotiques les plus suggestifs.
19ème siècle
Sautons un siècle plus loin jusqu’à Freud, qui s’intéressa de près aux liens entre libido et hypnose, et posa l’interdit du passage à l’acte dans un cadre thérapeutique. Il le fallait d’autant plus que pour lui, le rapport hypnotique était analogue au lien amoureux.
Sa grande histoire - l’invention du transfert - est née d’une petite histoire qu’il raconte dans son autobiographie. L’événement n’est pas daté, mais prend place selon Léon Chertok entre 1891 et juin 1892. Un jour qu’il délivra avec l’hypnose une patiente de ses symptômes, celle-ci se jette à son cou pour le remercier. Il a ce mot superbe « J’avais l’esprit assez froid pour ne pas mettre cet événement au compte de mon irrésistibilité personnelle » et stoppa un temps sa pratique de l’hypnose pour penser ce qu’il c’était passé. Il conceptualisa la notion de transfert, qu’il comprenait alors en lien avec la libido, pour expliquer l’événement.
20ème siècle
Un nouveau siècle plus tard, une affaire fait grand bruit, celle du Dr Jeannot Hoareau. Psychiatre, Président de la Société Française d’Hypnose. Il fut mis en examen pour « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité » sur quatre patientes. Il fuira en Russie où il ouvrit un cabinet à Moscou en toute impunité, recevant même des journalistes à propos de ces accusations. En guise de défense, il leur montre comment une lévitation de la main en hypnose peut être - selon lui - mal interprétée par les patient(e)s. Depuis ce documentaire (toujours visible sur les plateformes de streaming), les âmes averties réfléchissent à deux fois avant de faire une démonstration de lévitation du bras lorsque se pose la question de savoir ce qu’est l’hypnose et si un geste hypnotique peut être mal perçu ou non!
21ème siècle
Enfin, nous arrivons à l’affaire Gérard Miller, qui n’est pas encore jugée, et dont on ne peut rien conclure pour l’instant de ce qu’il en est. Un peu cyniquement, je peux dire que la stupeur a d'abord commencé pour moi du fait d'apprendre que Gérard Miller utilisait parfois l’hypnose, alors même que son maître Jacques Lacan en a interdit sa pratique (dans ses Ecrits). Et qu'il a publié un livre sur l’hypnose où suintait tout le mal qu’il en pensait. L'affaire s'annonçait d'emblée confuse!
En tout cas, la forme et la nature des accusations à l’encontre de Gérard Miller est malheureusement commune aux faits historiques qui l’ont précédé. Et avec elles, la question suivante survient :
Peut-on réellement commettre des forfaits de nature sexuelle avec l’hypnose, sans consentement ou même conscience de ce qu’il se passe côté victime?
Que l’on me pardonne un propos un peu lapidaire, mais c’est aussi pour que la réponse apportée soit claire.
Non, une personne ne peut pas être victime d’un abus sexuel en état hypnotique et ne se rendre compte de rien (sauf si elle est en plus droguée, évidemment).
Les études scientifiques montrent que l’hypnose n’est pas une perte totale de vigilance et de conscience. MAIS il existe des contextes où l’influence hypnotique malveillante peut sidérer la personne, la transformant en victime perdant toute capacité de dire non au drame qui se déroule.
Citons deux situations qui répondent à ces critères (et que l’on retrouve notamment dans le profil des victimes de Jeannot Hoareau).
1- Lorsque les personnes présentent un tableau clinique psychotraumatique qui augmente leur niveau de suggestibilité et où la relation d’emprise va réactiver le ou les chocs traumatiques.
2- Lorsque la relation à l’hypnothérapeute est une relation d’emprise où ce dernier est perçu comme une figure d’autorité imposante, qui fait basculer le lien dans une relation analogue à celle d'un rapport maitre / esclave.
Dans ces deux situations, les victimes sont en situation de vulnérabilité extrême. On comprend qu’elles sont victimes de personnes malveillantes, abusives, qui installent une relation pathologique à l’autre. Ce n’est pas l’hypnose qui produit cela. Une allumette peut allumer un feu de cheminée qui réconforte, une bougie qui permet le recueillement, ou bien un feu de forêt dévastateur. Qui oserait blâmer l’allumette et non l’incendiaire?
Ce qui est vrai par contre, c’est que l’hypnose est une pratique d’influence (la suggestibilité, la relation qui mobilise les émotions…). Pratiquer l’hypnose impose donc que soit intégrée une démarche éthique, c’est-à-dire que le praticien se pose continuellement la question de savoir si son relationnel, sa façon de manier l’hypnose, est acceptable ; et aussi au service des objectifs thérapeutiques, dans le cadre du consentement d’usage.
Ce même praticien doit savoir bénéficier d’une supervision s’il n’est pas sûr de ce qu’il fait ou de pouvoir bien saisir le sens de la démarche éthique et thérapeutique à mettre en œuvre. L’hypnose, par sa nature même, oblige. Elle oblige le thérapeute à cette pensée et démarche éthique, ainsi qu’à une exigence de pratique dans le respect absolu de l’autre avec toujours un regard sur la façon dont l’influence hypnotique s’exerce (c'est le sens originel de la notion de transfert proposée par Freud alors qu'il pratiquait essentiellement l'hypnose ; d'autres dispositifs sont disponibles hors champ psychanalytique).
Concevoir une démarche éthique et l'intégrer dans sa déontologie de pratique est fondamental, mais pour autant ce n’est pas inné! Cela doit s’apprendre dès la formation initiale en hypnose.
Chez IPNOSIA, ces questions éthiques, de penser l’influence dans un cadre propice à l’exercice thérapeutique, sont vues dès la première année de formation. Tout au long du cycle des apprentissages, lors des supervisions, ces points sont abordés par nos formateurs experts. Ils sont essentiels à la pratique d’une hypnose vertueuse, respectueuse, où le patient est en totale sécurité.
Nous avons aussi abordé cette question lors du colloque "hypnose et consentement" organisé en partenarait avec le Dr Pascal Vesproumis (ACCH).
Enfin, dans les suites de l’affaire Miller, notre collègue Joëlle Mignot (psychologue sexologue clinicienne, co-titulaire de la chaire UNESCO « santé sexuelle et droits humains » est à l’initiative d’un magnifique plaidoyer que nous mettons ici et à laquelle nous adhérons totalement.
Et vous?